Comment rattacher l'Ecole à la Vie
 
« Comment rattacher l'Ecole à la vie » demande le Brûleur de Loups. Pour moi, la réponse est bien simple. Je trouve même que la question ne devrait pas être posée ainsi, car c'est avouer implicitement la faillite de l'Ecole si on est obligé de la « rattacher à la vie ».
« L'Ecole est isolée dans la vie ». Mais c'est nous qui l'isolons. Il n'y a qu'un moyen de la rattacher à la vie, c'est de faire en sorte de la rattacher à la Vie.
Pourquoi persistons-nous à en faire un anormal lieu de dressage où règne l'autorité souveraine du maître ? Nous continuons à traiter nos enfants comme des machines qu'on nourrit de matières indigestes - et à qui nous ne reconnaissons pas même le droit de se plaindre.
L'école n'est pas le lieu où on apprend telles ou telles choses d'un programme défini. L'école doit être l'apprentissage de la vie. Et c'est ce qu'on oublie totalement. On apprend des connaissances à l'enfant : on ne lui dit même pas ce qui sert ou nuit à l'homme son frère ; on ne le prépare pas à vivre en société. Et l'on s'étonne ensuite qu'il soit comme égaré quand l'école le rejette et qu'il ne soit pas sociable (du point de vue d'une société harmonique).
Comment donner la vie à l'école ! Il faut d'abord nous débarrasser de notre vieux fonds capitaliste. Eh oui ! malgré tout, le capitalisme nous a marqués profondément et, quand nous le critiquons, nous restons capitalistes au fond de nous.
Nous enseignons à l'enfant, non ce qui pourrait en faire un homme, mais ce qui en fera un fidèle serviteur du régime. Même après la Révolution, ferez-vous l'école pour l'enfant ? Or, cette « école syndicale » (voilà deux mots qui jurent selon moi) sera-t-elle encore une école pour l'Etat communiste alors ? Et avons-nous le droit d'imposer aux enfants un dogme capitaliste ou communiste en leur donnant une tournure d'esprit qui les empêchera de chercher la vraie loi de la société ?
Mais l'Ecole soutient l'Etat. Et le jour où cette école sera définitivement débarrassée de l'emprise de l'Etat, toute exploitation - capitaliste ou communiste - sera impossible.
Il faut donc donner la vie à nos enfants. Pour cela, il n'y a qu'un moyen : les faire vivre, non de la vie factice et réglée d'aujourd'hui, mais de leur vie à eux - qui est moins incohérente qu'on le croit. Il faut les faire vivre en république dès l'école.
Mais alors le maître ne sera plus omnipotent ? Il faudra qu'il subisse les observations et les remontrances de ses élèves, s'il les a méritées. Il faudra qu'il apprenne à les regarder, non avec ses yeux d'homme, mais avec des yeux d'enfant ; et qu'il ne soit parmi eux tous que l'enfant le meilleur qui s'impose comme exemple et comme guide dans la république nouvelle. Et il nous faudra lutter longtemps avec nous-mêmes pour arriver à cela.
Mais qu'apprendront nos enfants ? Deviendront-ils meilleurs ou pires ? Est-il possible de leur rendre la liberté sans nuire à la bonne marche du travail ?
Nous montrerons par ailleurs les résultats de cette Ecole Nouvelle, basée sur la liberté dans le cadre de la communauté, en rendant compte de l'expérience qui se poursuit actuellement à Hambourg, et qu'un des maîtres de cette Ecole Nouvelle a consignée dans un petit livre.
Pour nous, là est la seule voie qui puisse relier l'Ecole à la Vie en identifiant l'Ecole et la Vie.
Freinet
Ecole Emancipée, n°32, 7 mai 1921
rubrique Chacun sa pierre