Pendant qu'on souffre encore
par Jean Rostand (chez Bernard Grasset)
 
« Oh ! pendant qu'on souffre encore, pendant que sont encore présents les dépositaires de la douleur, tous ceux qui, sur le champ de bataille ou au chevet d'un mourant, ont pour jamais senti qu'il n'est pas possible que la sanglante absurdité se renouvelle, il faut qu'on s'acharne à préparer la paix ».
Vous entendrez dans ce livre une femme qui se révolte devant la mort. Et ces paroles que nous avons entendues tant de fois de la bouche des nôtres, il est bon de les opposer sans cesse à la folie collective : « Pour cet insignifiant soldat de l'un de vos régiments, je renoncerais à votre gloire, à votre butin, à vos provinces... Lorsqu'il me sera rendu mort, je le considérerai comme assassiné... ». « Jamais je n'admettrai qu'il puisse y avoir une équivalence entre sa vie et les buts que vous me proposez... »
Et écoutez, camarades femmes, ce que dit une femme : « En face des profiteurs et des contempteurs de la mort, crions l'importance d'une agonie, la primauté d'un visage, plus sacré que tous les emblèmes. En face d'énormes idoles amorphes et brutes, élevons hardiment une frêle silhouette de chair et d'os ».
Puis voici celui qui ne veut pas mourir, le lâche, le déserteur, présenté sous un nouveau jour, le vrai, en face du héros qui recherche la mort.
« On oubliera » disait R. Dorgelès dans Les Croix de Bois. Avec plus de certitude, Jean Rostand peut s'élever contre ce vrai danger, l'oubli qui rendrait nos peines vaines.
C'est pourquoi il faut lire : « Pendant qu'on souffre encore ». Le livre est bon marché - relativement - 3fr.50. Il est vite lu et c'est aussi appréciable pour un livre très substantiel. On y trouvera au reste la même force et la même clarté que dans La Loi des Riches du même auteur (5fr.) qui mérite aussi et, à plus d'un titre, d'être lu.
Freinet, Bar-sur-Loup (A.-M.)
Ecole Emancipée, n°21, 18 février 1922
Rubrique : Chronique littéraire
 
Note : On comprend que Freinet, mutilé à 70% après avoir frôlé la mort, se sente concerné par le refus de l'oubli.