Suggestion et Autosuggestion
livre de Charles Baudouin (Delachaux Niestlé, Neufchâtel)
Ecole Emancipée n°10 25 novembre 1923
Rubrique Bibliographie
C. Freinet


L’autosuggestion fait penser aux guérisseurs divers ; aussi n’est-ce pas sans scepticisme que l’on aborde la lecture de ce livre. Quand surtout on a entendu M. Coué parler d’un air satisfait et dogmatique, mais par trop simpliste, des relations entre la volonté, l’imagination et le subconscient, on est un peu perplexe sur la valeur scientifique d’un mouvement nouveau de suggestion et d’autosuggestion.
Mais dès les premières pages, on est convaincu, sinon de la portée générale des pratiques d’autosuggestion, du moins de leur sérieux fondement psychologique. La suggestion et l’autosuggestion sont vieilles comme le monde, mais l’explication de leur action - à laquelle le livre de M. Baudouin contribue si largement - est par contre toute récente.
La caractéristique de la « Nouvelle école de Nancy » dont M. Coué est le chef, c’est d’attacher une plus grande importance à l’autosuggestion qu’à la suggestion. M. Coué lui-même qui avait commencé par l’hypnotisme, se dispense aujourd’hui de son secours. Il dit n’avoir aucun pouvoir particulier et aucun secret ; il veut seulement apprendre aux hommes à connaître le merveilleux outil de perfectionnement qu’est l’autosuggestion et à s’en servir. Il faut lire les bonnes pages que M. Baudouin consacre à la suggestion spontanée et à la force formidable du subconscient. « Certains actes malheureux très graves peuvent être des gestes accomplis par l’inconscient. Freud pense que certaines morts par accident, imprudence, faux pas, etc., sont de véritables suicides involontaires, mais déterminés par un complexe ». Et M. Baudouin cite le cas de la mort de Verhaeren, tué par un des trains dont il avait chanté l’horreur et la beauté. « Tout doit se passer, dit-il encore, comme si la suggestion commandait aux événements ».
Certaines explications sont lumineuses en cela qu’elles nous fixent sur des faits de coïncidences ou de pratiques bizarres qui nous troublaient sans nous convaincre. Nous saurons désormais que penser des remèdes de vieilles femmes, de la guérison des verrues et des miracles divers qu’exploitent les charlatans et les églises.
Au chapitre de la suggestion réfléchie, M. Baudouin explique les affirmations lapidaires de son maître, M. Coué. « Quand la volonté et l’imagination sont en lutte, dit celui-ci, c’est toujours l’imagination qui l’emporte, sans aucune exception » et « Dans le conflit entre la volonté et l’imagination, la force de l’imagination est en raison directe du carré de la volonté ». La conclusion en est que, dans nos efforts quotidiens, il ne faut pas chercher à agir par notre volonté qui aboutit toujours (selon M. Coué) au résultat inverse de celui voulu ; il faut s’en remettre à l’imagination. « Mais surtout, dit encore M. Coué, - et cette recommandation est essentielle - que la volonté n’intervienne pas dans la pratique de l’autosuggestion... Cette observation est capitale, et elle explique pourquoi les résultats sont si peu satisfaisants quand, dans le traitement des affections morales, on s’efforce de faire la rééducation de la volonté. C’est à l’éducation de l’imagination qu’il faut s’attacher et c’est grâce à elle que la réussite a été souvent obtenue, là où d’autres, et non des moindres, avaient échoué » (E. Coué, La suggestion et ses applications, chez Barbier, Nancy). M. Coué donnait d’ailleurs à Montreux une définition brutale de la volonté et de l’imagination : « La volonté, disait-il, c’est quand on dit : je veux ; l’imagination quand on dit : je ne veux pas ».
Nous passerons rapidement sur l’exposé des conditions dans lesquelles la suggestion est la plus facile, sur la détente (du corps et de l’esprit) qui permet l’affleurement du subconscient, sur la suggestibilité particulièrement grande des enfants et les exercices de recueillement qui permettent de l’entretenir et même de la développer. Et nous irons d’un bond aux derniers chapitres du livre dans lesquels M. Baudouin, éducateur, traite de la suggestion dans l’éducation.
En vertu de notre souci de libre éducation, nous nous révoltons immédiatement contre cette prétention de l’homme d’influencer systématiquement l’enfant et à son insu. Aussi M. Baudouin, qui sentait l’objection, commence-t-il son chapitre par : « La suggestion provoquée n’est pas une mainmise sur la personnalité du sujet. Au reste, l’hypnose profonde (seul cas où l’on serait en droit de craindre cette mainmise) qui se révèle en général accessoire pour l’adulte, est plus accessoire encore pour l’enfant dont la suggestibilité est très grande à l’état de veille. Cette grande suggestibilité est une raison pour commencer l’éducation de l’autosuggestion dès l’enfance ».
Et M. Baudouin nous dit, après Guyau : « C’est une erreur complète, lorsque l’enfant a mal fait, de mettre sur sa faute un qualificatif général : tu n’es qu’un gourmand, un menteur, un méchant enfant. Par là, on risque d’engager l’avenir ; l’enfant ainsi estampillé se considère comme un gourmand, un menteur à vie, et il agit en conséquence. Il est de bien meilleure politique de s’étonner qu’un si bon enfant, d’habitude si sincère, etc. ait pu aujourd’hui vous faire croire qu’il était menteur, alors que vous savez bien qu’il n’en est rien. »
Et il cite l’exemple de cette institutrice de Genève qui « tous les lundis, lorsque la semaine commence, écrit au tableau la résolution de la semaine, qui tient en quelques mots et qui tend à corriger tel défaut de conduite ou de travail particulièrement épidémique, la semaine d’avant. Les enfants copient la formule et prennent collectivement la bonne résolution. Les résultats sont très nets. Ajoutons que cette personne ayant compris la loi de l’effort converti, a substitué dans ses résolutions la formule : je serai à la formule : je veux être, et s’en est fort bien trouvée ».
Cela est excellent. Mais je ne sais pas si la pratique que recommande d’autre part M. Coué est aussi inoffensive. « Les parents doivent attendre que l’enfant soit endormi. L’un d’eux pénètre avec précaution dans sa chambre et s’approche du lit, puis il pose lentement et doucement la main sur le front de l’enfant. Si celui-ci bouge et semble se réveiller, le père ou la mère lui dit tout bas : « Dors, mon enfant, dors bien tranquillement, etc. » jusqu'à ce que celui-ci ait repris son sommeil. Il ajoute alors, toujours d’une voix basse et lente, toutes les choses qu’il désire obtenir de lui, tant au point de vue de la santé, du sommeil, que du travail, de l’application, de la conduite, etc., puis il se retire, comme il est venu, en prenant bien garde de ne pas réveiller l’enfant ».
M. Baudouin n’a certes pas développé bien profondément l’étude de l’emploi de la suggestion dans l’éducation. La lecture de son livre permet au moins de s’expliquer beaucoup de choses. L’auteur a montré, d’autre part, dans ses Etudes de Psychanalyse (Delachaux Niestlé) à quelles découvertes peut amener l’emploi de la suggestion pour la connaissance psychologique des individus.
C. Freinet