VIE PEDAGOGIQUE
UNE NOUVELLE TECHNIQUE PEDAGOGIQUE
L’IMPRIMERIE A L’ECOLE
École Émancipée n°10 2 décembre 1928
Célestin Freinet

Nous l’avons signalée aux Groupes dans notre première circulaire. En plusieurs bulletins nous allons maintenant la présenter aux Jeunes, parmi lesquels, nous le savons, elle trouvera bientôt de nouveaux adeptes. Comme article introductif, nous ne saurions mieux faire que de reproduire les extraits ci-dessous d’une étude de C. Freinet, l’ardent pionnier de « l’Imprimerie à l’Ecole », publiée dans la revue mensuelle de M. Ferrière (l’un des maîtres de la Ligue Internationale pour l’Education Nouvelle) : Pour l’Ere Nouvelle (15 fr par an, chez Crémien, 11, rue de Cluny, Paris Ve).

Genèse et bases pédagogiques de l’Imprimerie à l’Ecole

« J’ai, moi aussi, passé de longues heures bien tristes à faire ânonner un quelconque b, a, ba ; je me suis attardé à l’explication insipide d’une gravure sans parvenir à donner un intérêt profond au texte du manuel ; je me suis fatigué à faire à mes petits bambins de bonnes leçons académiques dont ils ne tiraient pas grand profit.
Pures disciplines « scolaires », sans fondement psychologique sérieux, ignorantes de la vraie vie de l’enfant et en contradiction constante avec les principes de l’activité sociale normale.
Pas de joie, pas d’enthousiasme, si ce n’est au début de l’année, lorsqu’on distribuait les livres « neufs »… L’atmosphère monotone et sans réaction des classes au travail… scolaire.
Suivant la recommandation de nos maîtres en pédagogie, je suis parti à la recherche d’une vie nouvelle.

*
* *

Ma classe était triste et morte ; j’essayais de mener mes élèves dans le village, à travers champs, au bord de l’eau. Là, merveilleusement, l’enthousiasme renaissait à chaque pas : un brin d’herbe, un insecte inconnu, un cri, un accident étaient l’occasion d’enseignements naturels et féconds.
Mais hélas ! au retour de notre enthousiasme, notre soif de connaître et de chercher s’arrêtaient sur le seuil de la classe.
Nous essayions de traduire au tableau noir nos impressions de promenade ; ce travail lui-même – pourtant immédiat – était déjà une tâche scolaire, dont nous ne sentions point le besoin, qui ne pouvait que nous faire regretter la joie trop tôt perdue… La classe commençait : il fallait aussi ouvrir le manuel pour y lire la page quotidienne, sans rapport souvent avec nos préoccupations antérieures – exercice cependant nécessaire à l’acquisition de la lecture ».

L’enthousiasme de la classe, son ardeur nouvelle, dont l’éducateur eut dû pouvoir tirer de grands profits, se heurtait dans son expansion à des limites dressées par les adultes à ce qu’ils croyaient être la mesure de l’enfant.
« La barrière est aujourd’hui abaissée… Tout au long de la journée, l’enfant pourra « s’épanouir ».
Il arrive le matin, tout vibrant, l’esprit agité par des impressions, des idées, des rêves, qu’il désire à tout prix extérioriser. Il a parfois, et librement, rédigé la veille au soir, la pensée ou l’événement qui lui ont paru essentiels.
L’école n’a pas le droit de réprimer ces manifestations de la vie interne. Notre rôle est au contraire d’écouter ces récits, de lire ces rédactions, d’essayer de mettre un peu d’ordre dans le chaos des documents en faisant jaillir l’original, l’intéressant, l’instructif, de rédiger en bon français cette expression de vie.
Mais rédiger pourquoi ? Parce qu’il faut faire un devoir ? Parce qu’il nous faut apprendre à écrire sans faute ?
Insuffisantes raisons justificatives !...
Ce texte choisi, modelé, copié, nous allons le « couler dans le métal ». Dès lors, cette pensée enfantine prendra une forme définitive, impérissable, conservable ; elle sera une sorte de monument enrichissant et précisant le travail antérieur.
Et comme on écrit, on imprime pour être lu, nous donnerons à notre travail son but normal ; nos feuillets imprimés seront communiqués aux élèves de nos 10 ou 12 écoles correspondantes situées dans les diverses régions de la France.
Notre activité a désormais un sens. Si l’élève fait spontanément une rédaction c’est pour annoncer à ses camarades éloignés quelque chose qu’il ne peut leur dire de vive voix ; si, en classe, nous racontons un événement, c’est que nous le jugeons capable d’intéresser et d’instruire nos correspondants ; si nous nous appliquons à rédiger en bon français, c’est que nous savons, par expérience, qu’il faut s’exprimer correctement si nous voulons être parfaitement compris.
Ecrire devient un besoin, et ce besoin se manifeste avant même l’apprentissage de l’écriture. L’enfant s’exprime alors par le dessin.
Lire est maintenant une faveur, la satisfaction du désir de connaître la vie des autres enfants. Nous avons, tous les quinze jours, une centaine de pages à lire, de pages qu’on désire lire…
Ainsi est réalisée l’exploitation méthodique dans un but éducatif de la vie de l’enfant, de son besoin d’expression et de communication. L’éducation monte vraiment d’en bas : c’est « l’élévation » progressive et naturelle, avec l’aide du maître, de nos petits écoliers.
Et tous les livres péniblement entassés par les adultes à l’usage de leurs élèves, direz-vous ? »
Ils étaient des tyrans. Nous en avons fait de simples conseillers qu’on consulte au moment désiré et dont on utilise les enseignements pour son « élévation » personnelle.
Voilà certes, la marche idéale pour un enseignement rationnel… Mais la réalisation en est-elle possible ? dans nos écoles primaires ?

*
* *

Qu’il s’agisse des difficultés de la composition typographique et de l’impression, des pertes possibles de temps, des impossibilités budgétaires, etc… aucune objection ne résiste à la lumière de l’expérience qui se poursuit actuellement dans une centaine d’écoles françaises et étrangères – écoles de villages, pauvres et surchargées pour la plupart – et dont les maîtres collaborent activement et journellement au perfectionnement du matériel et de la technique.

« Sûre des services qu’elle est appelée à rendre l’école populaire, l’Imprimerie à l’Ecole poursuit rapidement son chemin »…


C. Freinet.

Jeunes instituteurs, Secrétaires pédagogiques des Groupes, demandez à Freinet (Saint Paul, Alpes-Maritimes, C.C. postal Marseille 115.03) :
L’Imprimerie à l’Ecole, bulletin mensuel, 10 fr. par an. Et les deux livres :
L’imprimerie à l’Ecole (Freinet), 7 fr.
Plus de manuels scolaires (Freinet), 8 fr.