Les coopératives scolaires
Notes de Pédagogie Nouvelle révolutionnaire – 05/05/1929
Célestin FREINET


Je suppose que de nombreux camarades sont suffisamment désorientés. Ils ont lu, ici même à diverses reprises, des articles exécutant sans pitié des « organismes de mendicité » ; et pourtant, ils voient, dans la vie pratique, de bons militants créer dans leurs classe des coopératives scolaires florissantes. Ils se demandent, perplexes, quelle conduite tenir.
Il est absolument nécessaire de s’expliquer à fond, et de prendre, vis à vis de ce mouvement qui va s’amplifiant, une position nette.

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Avant d’examiner plus particulièrement le mouvement des Coopératives scolaires en France, nous devons essayer de voir si de tels organismes ont un fondement pédagogique certain, où s’ils ne répondent qu’à des nécessités sociales et politiques momentanées : bref, si, malgré les déviations possibles, nous devons les considérer comme un progrès pédagogique dont profitera tôt ou tard le prolétariat.
L’Ecole, telle qu’elle est comprise dans l’immense majorité de nos classes, n’est, selon le mot de René Jadot 1, qu’un « microcosme capitaliste », régime de concurrence, du laisser faire et du chacun pour soi, de l’arrivisme. « Tyrannique et conservateur, disait Bernstein, ce système encore en usage presque partout est responsable dans une large mesure de l’apathie des gens instruits pour les affaires publiques, de leur tolérance en présence des méfaits accomplis autour d’eux, et de l’esprit mauvais qui anime tant de citoyens. Il est responsable du régime de favoritisme politique qui règne, et, pour une grande part, de l’égoïsme qui domine les affaires. » Et si nous devons essayer à l ‘école une action rénovatrice, il est certains que nous devons d’abord nous attaquer à cette tare essentiellement capitaliste, et jeter, dès le plus jeune âge, les frêles assises de la coopération de l’avenir.
Non pas que nous croyions à la possibilité de transformer l’école capitaliste en « microcosme socialiste » et que nous attribuions à ces réformes une valeur totale de régénération, mais nous avons dit pourquoi nous devons être – et de tout cœur – à l’avant-garde de la pédagogie nouvelle populaire, nous rencontrant ici avec les nombreux pédagogues idéalistes, bourgeois ou non.
Deux principes dominants de la pédagogie nouvelle touchent justement de très près à l’auto organisation scolaire.
1°) Le « maître » a, certes, inventé une infinité de procédés pour remplir la tête de ses élèves. Mais il ne saurait obtenir une instruction et une éducation véritables sans le consentement actif, sans la participation vivante des éduqués eux-mêmes. D’où la nécessité d’une intime collaboration ente maîtres et élèves, collaboration débarrassée au maximum de la notion paralysante de supérieurs et inférieurs.
2°) Si l’avenir appartient au socialisme, la voie pédagogique est nécessairement vers une socialisation toujours plus grande de l’école : socialisation au sein même de l’organisme scolaire et adaptation de l’école aux fins sociales nouvelles.
Cette transformation est déjà heureusement commencée : fini le temps ou les élèves emportaient dans leur sac tous les instruments de travail, y compris même leur encrier. Des techniques nouvelles, le matériel nouveau qu’elles nécessitent, ne sont jamais propriété personnelle des élèves. Ils sont encore trop souvent, hélas ! à l’exclusive disposition du maître ; mais celui-ci est, de plus en plus, poussé à la collaboration, à la coopération.
Matériel collectif, le cinéma, les films achetés ou pris sur place, le compendium scientifique, les thermomètres, baromètres, etc… tous outils indispensables à l’école nouvelle. Matériel collectif, les vues d’enseignement vivant, les jeux de construction, le Camescasse que nous allons ressusciter. Matériel essentiellement communautaire, pour un but exclusivement communautaire, l’imprimerie à l’école. Matériel communautaire, les livres d’études qui, dans la bibliothèque scolaire de demain, auront remplacé définitivement tous les manuels.
Nous ne voulons pas empiéter sur l’étude qui suivra et essayer de répondre aujourd’hui à cette question brûlante : qui achètera ce matériel ? J’ai voulu seulement montré que l’école populaire actuelle, qu’elle ait ou non coopéré à l’achat d’une partie de son matériel, ne peut plus se passer d’une auto organisation, d’une communauté qui administre, entretienne et améliore les instruments de travail, qui se sente responsable de sa propre activité. Cet essai de socialisation de l’école, même en régime capitaliste, sera certainement notre meilleure conquête pédagogique.
C. Freinet

1 R. Jadot : l’Ecole contre la société (l’Eglantine, Bruxelles)