Freinet vu par un pédagogue allemand
par Hans Jörg, traduit par Meyer


Grâce à notre ami Meyer, nous pouvons à partir de ce numéro "des Amis de Freinet" publier de larges extraits du livre "Vie et Oeuvre du pédagogue français Célestin Freinet" paru dans "Die Moderne franzosische schule" aux éditions Ferdinand Schöningh Paderborn.
Il a su traduire l'excellent travail de notre ami Jörg qui, toujours accompagné de ses normaliens assiste à tous nos congrès.
Que Jörg et Meyer soient vivement remerciés l'un et l'autre pour cette excellente collaboration et cette contribution à la connaissance de Freinet.
Marcel Gouzil
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1 - Influence du milieu
Le milieu champêtre, proche de la nature et la vie simple de ses parents, le dur travail de la ferme et aux champs et les joyeuses fêtes du village, laissèrent en lui une impression ineffaçable.
Dans tous ses écrits et ouvrages on sent combien il est resté attaché étroitement à cette vie simple, morale, naturelle.
Sa raison saine, sa sincérité, et sa franchise, son intégrité et sa persévérance, sa confiance absolue en la vie, le respect de la lente croissance de tout ce qui naît sont une conséquence de cette vie que Freinet ressentit comme une empreinte depuis son enfance.
Il reste toujours étroitement lié au monde rural. Dans ses écrits psychologiques et pédagogiques, il apporte toujours des exemples et des comparaisons tirés de la vie rustique, basés sur l’observation des événements personnels de la vie, de la naissance, de la croissance et de la disparition dans la nature.

2 - l’école
C'est surtout dans son livre "Les dits de Mathieu" qu'il expose ses idées fondamentales, sous forme d'un dialogue entre un instituteur de village et un simple paysan.
C'est là que Mathieu exprime, d'une manière simple et naturelle, mais avec des mots très éloquents, les lignes d'orientation nouvelle de l'éducation.
Un des souvenirs sombres, peu nombreux, de l'enfance de Freinet semble être lié où il allait à l'école. L'école qu'il décrit pertinemment comme "l'école-caserne" n'était pas de nature, avec sa salle étroite et noire, sans ornements, l'autorité très sévère du maître et les nombreux devoirs jugés vraiment absurdes, à enthousiasmer un garçon "heureux, habitué à la lumière, à l'air et au soleil, qui aurait préféré aider son père au travail des champs, plutôt que d'être assis dans l'école étouffante".
Il est vraisemblable que cette connaissance affligeante qu'il avait de l'école le conduisit à l’Ecole Normale. Il avait senti qu'on pouvait y apporter amélioration.


3 - Les débuts dans la carrière
Le premier janvier 1920, Freinet, mal remis de sa blessure reçue au combat, est nommé dans une école à deux classes à Bar-sur-Loup petit village pittoresque des Alpes-Maritimes.
Il cherche des voies nouvelles, car sa blessure le fait énormément souffrir, pour sortir des vieilles écoles où le maître enseignait pendant que les enfants devaient se conduire le plus silencieusement et le plus passivement possible.
Il trouve et développe toute une série de techniques d'enseignement qui amènent l'enfant à étudier et à travailler spontanément.
Il transfère ses cours de l'après-midi, en plein air, pendant les mois d'été, cours qu'il baptise du nom "d'École Buissonnière".
Quelques parents s'insurgent, ils ignorent qu'une heure de classe vécue au contact des réalités est plus fructueuse que la description froide, présentée par des mots, d'un objet sans vie.
Plus tard, Freinet supprime le cours de morale du quart d'heure du matin.
Il veille surtout à une bonne entente entre les élèves, à l'ordre, à la propreté de la classe.
En 1920, il tient déjà consciencieusement un journal sur chaque élève, note leurs questions, leurs soucis, leurs idées, leurs réclamations et devient ainsi un explorateur de l'âme et de la personnalité de l'enfant.
Il confronte sa pensée à ses observations et ses expériences.

4 - Les recherches de Freinet
C'est en recherchant de nouvelles voies adaptées aux enfants, que Freinet fait la connaissance de Maria Montessori et de son assistante sociale Hélène Parkhurst.
Il entre en correspondance avec le médecin pédagogue belge Ovide Decroly et se lie plus étroitement avec le pédagogue suisse Adolphe Ferrière.
Comme Ferrière, déjà gagné par Lietz (1900-1902), Freinet se tourne aussi vers la réalisation du principe de travail spontané de l'élève à l'école.
Il ne reste pas fixé à la théorie, mais il crée des méthodes de travail et d'étude. Et c'est justement le mérite de Freinet de ne pas bâtir une théorie pédagogiquement exclusivement personnelle.
II est praticien et veut trouver par la voie de l'exploration pédagogique des moyens et des chemins nouveaux qui donnent à l'élève la possibilité d'arriver à un épanouissement aussi harmonieux que possible de tous ses talents et de toutes ses forces.
Comme Ferrière, Freinet visite aussi les écoles de Lietz, en 1923 (Altons).
Freinet est très étonné de 1' installation confortable des écoles d'Altons, mais il croit pourtant qu'on devrait mettre à la disposition des élèves moins de moyens pédagogiques, afin qu'ils puissent découvrir les choses eux-mêmes.
Lietz écrit: "L'école de l'avenir honorera aussi le travail physique”. C'est une idée que l'on retrouvera chez Freinet dans son "Éducation du travail".
Quand Lietz exige "Non, point de connaissances, savoir, érudition, mais formation du caractère, non seulement développement de la raison et de la mémoire, mais développement de toutes les forces, sens, organes, membres de toutes les bonnes tendances d'une nature d'enfant
vers une personnalité la plus harmonieuse possible "ce sont des exigences que Freinet a aussi, faites pleinement".

Quand Lietz enfin explique que "tout le secret de l'éducation réside dans l'art de l'union, de l'activité physique et spirituelle, de l'union entre ateliers, nature et salle de classe et que là se trouve le plus grand problème pédagogique" c'est surtout Freinet, qui, dans ses explications sur la structure architecturale de l'école, voudrait voir ces exigences réalisées.

5 - Formation de l’homme
Freinet, instituteur, semble imprégné d'une ardeur presque fanatique, afin d'écarter par une meilleure formation scolaire, la misère sociale de la grande masse laborieuse.
Partout où il est instituteur, il incite les paysans, les manoeuvres journaliers, les travailleurs, les ouvriers et les horticulteurs à fonder des coopératives d'achat et de vente qu'il préside, le plus souvent. Il veut, par là, aider la population pauvre à se libérer de la tutelle des riches et des possédants.

6 - En Russie
Dans le fil des courants politiques et idéologiques des années 1920, il prend connaissance des oeuvres de Marx, Engels, et Lénine.
En 1925, il visite avec d'autres pédagogues des écoles à Leningrad, Saratov, Moscou et Stalingrad.
II est fortement marqué par la pauvreté et les rapports simples, en Russie, qui le font beaucoup penser à sa pauvre école de Bar-sur-Loup, et il se propose de tout faire, pour trouver dans son domaine, les voies qui doivent obtenir à la population simple, un meilleur avenir par une meilleure éducation.
A la vieille école sèche, avec ses mots et ses livres, qui surestime d'une manière bornée le rendement intellectuel, il veut opposer une école qui place le travail et l'activité au centre de ses efforts d'éducation.
Son école doit "éduquer et former par la vie, pour la vie, par le travail".
Par l'activation des forces physiques et psychiques de l'enfant, il veut former chacun d'eux, d'après ses capacités, son talent individuel et ses intérêts et ainsi contribuer à une meilleure éducation générale du peuple.

7 - Le développement de la personnalité de l’enfant
Puisque la vieille école que Freinet décrit comme "'l'école scolastique" tient trop peu compte du psychisme et de la particularité de l'enfant, il exige une pédagogie qui tienne compte de l'individualité et de la spontanéité de l'enfant, de son développement physique et psychique, de ses intérêts et de ses penchants.
L'enfant doit en venir pleinement et entièrement à un libre épanouissement de sa personnalité.
Il ne doit pas devenir un mouton de Panurge, mais une personnalité libre, pensant elle-même, jugeant elle-même, agissant avec responsabilité, en un mot, un être qui mettra le meilleur de soi-même au service de la société.

8 - Le socialisme de Freinet
C'est en soumettant tous ses efforts pédagogiques à cette finalité, que Freinet se distingue essentiellement de l'interprétation socialiste des pédagogues de l'Est qui placent le collectif au-dessus du particulier, qui demandent pour tous un alignement général, uniformisé et politique auquel le particulier doit se soumettre entièrement.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner qu'en 1962, lors de la visite du Pioulier, des pédagogues soviétiques aient déclaré en avance mot à mot “Nous ne connaissons pas les techniques et les méthodes de travail de Freinet mais nous les refusons" (Communiqué par Freinet au Congrès de Niort en 1963).
Il faut, pour en terminer, mentionner que Freinet est un grand admirateur de St François d'Assise, parce que celui-ci "vivait une vie socio-chrétienne de l'acte, et non seulement de la parole".
De même Freinet se rapporte-t-il toujours au jésuite Theillard de Chardin, dont il dit: “Je ne connais personnellement rien qui puisse être aussi simple et pourtant aussi resplendissant que les écrits de Theillard de Chardin”.
Sans vouloir porter un jugement définitif, qu’il nous soit permis de dire que Freinet est un homme qui ne parle pas seulement de socialisme et de vie sociale, mais qu’il vit cette vie, qu’il cherche à réaliser la fraternité dans sa forme la plus pure, soit par son exemple personnel, soit par ses tendances pratiques à des réformes scolaires.
par Hans Jörg, traduit par Meyer