Libres propos sur le film “L’École Buissonnière”
par Henri Portier

bulletin des Amis de Freinet n°56 pages 23 à 25 (décembre 1991)


En 1948, Jean-Paul Le Chanois (29 ans), militant communiste, propose à la société de production “Coopérative Générale du Cinéma Français” contrôlé par le P.C.F. de réaliser un film sur la vie et l’oeuvre de Célestin Freinet.
Freinet, il en a déjà entendu parler... En effet, ses copains du “Groupe Octobre”, les Yves Allégret, Jacques et Pierre Prévert, Marcel Duhamel... ont jadis, en 1932, fait un court-métrage militant produit par la C.E.L. (Coopérative de l’Enseignement Laïc) intitulé “prix et Profits” ou “La Pomme de Terre”. Le Groupe Octobre, dont il a été aussi l’un des acteurs engagés, a souvent utilisé ce film dans ses spectacles d’”Agit-prop” qui s’attaquaient à la Bourgeoisie capitaliste et ses piliers de l’ordre établi que sont les flics, les curés et les militaires (Merci Prévert!). Il est au courant de la campagne réactionnaire de l’extrême-droite maurassienne qui de 1932 à 1933 valurent à l’instituteur engagé la suspension de ses fonctions à St Paul de Vence, mais aussi la création de son école de Vence en 1935. École privée certes... mais non confessionnelle!
De plus, Freinet est comme lui adhérent au Parti communiste... Alors pourquoi dans cette période de l’après-guerre, où le Parti, fort de son impact auprès des masses et de sa volonté propagandiste, ne réaliserait-il pas un film “populaire” qui montrerait l’engagement et le courage de ce novateur pédagogique en conflit avec la réaction locale?
Le projet est accepté, et le scénario établi avec le concours d’Élise Freinet...
Le tournage commencera le 4/9/48, et s’achèvera le 6/11/48. Film tourné en deux mois, avec la participation d’enfants de l’École Freinet de Vence et d’autres de la région.
Mais voilà... le P.C.F. n’a pas du tout apprécié que Célestin Freinet et Élise freinet, en désaccord avec le Parti qui ne les soutient nullement dans leur action, n’aient pas repris leur carte d’adhérent à la rentrée scolaire de 1948! Impossible de tout arrêter, il y a trop d’argent engagé. Le PCF va donc imposer au réalisateur des coupures dans le générique du film. Et Le Chanois devra accepter les diktats du Parti, mais il sera très gêné car il y a beaucoup apprécié au cours de ces deux mois de tournage l’instituteur vençois et il admire son oeuvre...
Freinet bien-sûr va réagir face à ces ruptures d’engagement, et la polémique ira presque devant les tribunaux...
Toute la partie du générique de fin: “En hommage aux pionniers de l’Éducation Nouvelle... x ... x ... et Freinet pour la France” sera supprimée! Seule restera la mention: “Matériel pédagogique de l’École Moderne. Coopérative de l’Enseignement Laïc. Cannes.” Après cette disparition du générique il sera difficile pour le spectateur non averti de savoir que cette histoire s’inspire de la vie de Célestin Freinet.
Mais Freinet écrira que le plus important est l’impact produit par le film pour faire progresser la pédagogie, et que seuls les idées et les actes sont intéressants.
Toutefois, il recommandera aux militants de l’École Moderne, “pour combattre l’organisation du silence”, d’intervenir lors des projections, d’animer des débats (on est en pleine période de vogue des ciné-clubs), et d’organiser des tables de presse pour promouvoir les outils pédagogiques édités par la C.E.L..
La première projection de l’École Buissonnière aura lieu en séance privée à Paris en février 1949. Puis le film sera proposé au grand public à partir du 8 avril 49 à Paris dans les cinémas “Normandie” et “Moulin Rouge”.
C’est à Pâques 49, au congrès d’Angers, que les militants du mouvement pourront voir et s’enthousiasmer à leur tour pour l’École Buissonnière.
Le film sera un très grand succès commercial, et il poursuivra sa carrière jusqu’au début des années 1970.
De nombreux prix lui seront décernés:
-1er Prix du Festival de Knokke le Zutte (Belgique)
-Prix au Festival de Karlovy Vary en 1950 (Tchécoslovaquie)
-Prix de mérite du meilleur film américain ou étranger aux USA, où il est projeté à New-York en version américaine sous le titre de “Passion for life”. (Et ce n’est pas rien quand on connaît le protectionnisme chauvin des américains en la matière!)
En 1972 il sera programmé à la télévision française à une émission des “Dossiers de l’écran” consacrée à l’école. Lors du débat qui suivit et qui mit face à face les deux brillants émissaires de l’ICEM, Madeleine Porquet et Paul Delbastyy, avec le recteur Gauthier représentant le Ministère de l’Éducation Nationale, les téléspectateurs purent apprécier l’humour, la verve, les arguments, l’à-propos et le talent de Paul qui fit un véritable “carton” sur le malheureux Recteur..... Cette apparition médiatique fut la plus belle campagne de promotion jamais réalisée pour l’ICEM et la CEL!
Si les critiques cinématographiques des journaux de gauche, de la presse laïque et syndicale furent unanimes pour vanter et promouvoir le film, il n’en fut pas de même pour les critiques de droite, dont voici quelques bribes:
-”Pas de prêtre, pas d’église!” - “Pas de morale chrétienne!” - “Film de propagande!” - “Strictement pour adultes, après coupures!” - “Rousseauiste!” - “Manichéen!”...
Il est vrai que même encore récemment, en 1987, l’historien Jean Tulard, spécialiste de l’époque napoléonienne (!) et cinéphile à ses heures... a bien du mal à accepter un J.P. Le Chanois, mais condescend quand même à reconnaître que l’École Buissonnière est un film “honorable”. (cf. ci-après)
Et si la télévision nous offrait prochainement le plaisir de revoir “L’École Buissonnière” un de ces soirs? Cela pourrait peut-être donner quelques idées généreuses à nos têtes d’oeuf du ministère ainsi qu’à bon nombre de spécialistes en sciences de l’Éducation!
En tout cas, en août 91 à Villeneuve d’Ascq, les congressistes qui découvrirent ce film surent l’apprécier à sa juste mesure, la marme à l’oeil parfois... (mais soyons honnêtes avec aussi tous ceux qui le revoyaient pour la ènième fois!) lors des scènes comme la réception du colis des correspondants de Trégunc, ou le morceau de bravoure que constitue le Certificat d’Études d’Albert!
Le film n’a guère vieilli, et a gardé ce charme discret propre à une qualité cinématographique “à la Pagnol” qui fait appel au coeur, ce coeur que la raison connaît peu, surtout quand il est servi par le talent d’un acteur comme le regretté Bernard Blier... Salut l’Artiste!
Henri Portier
Apt, le 15.11.91

Note: En réalité, en 1927, le journal des élèves de St Philibert en Trégunc de René daniel ne s’appelait pas “Le Menhir”, mais “Le livre de vie” (Le Chanois trouva que ce titre sonnait mieux “breton”), et les crêpes du colis étaient de vraies “krampous” et non des crêpes-dentelles!


LE CHANOIS (Jean-Paul Dreyfus, dit Jean- Paul),
cinéaste français (Paris 1909 - id. 1985). D'abord comédien et metteur en scène de théâtre (il appartiendra au groupe Octobre), il aborde le cinéma comme acteur en 1930. Formé à bonne école (il a été assistant et scénariste de Tourneur, Renoir et Ophuls notamment), il réalise un premier film en 1938, la Vie d'un homme (documentaire sur Vaillant-Couturier), puis se tourne vers la fiction, la même année, avec le Temps des cerises. La guerre interrompt sa carrière; c'est à cette époque qu'il adopte son pseudonyme. II obtient ensuite de grands succès populaires dans des films simples, de style traditionnel, souvent teintés d'un humanisme un peu laborieux: l'École buissonnière (1949), Sans laisser d'adresse (1951), le Cas du docteur Laurent (1957). II s'efforce d'acclimater la veine boulevardière de Robert Lamoureux dans Papa, maman, la bonne et moi (1955). Auteur de la plupart de ses scénarios, il a aussi réalisé Messieurs Ludovic (1946); Au coeur de l'orage (Doc. 1948); Agence matrimoniale (1952); le Village magique (1955); les Évadés (id.); les Misérables (1958); la Française et l'amour (un sketch, 1960); Par-dessus le mur (1961); Mandrin (1962); Monsieur (1964); le jardinier d'Argenteuil (1966). II était marié à l'actrice Sylvia Monfort.
F. Lab.
Dictionnaire du Cinéma Larousse 1986
Le Chanois, Jean-Paul
Réalisateur français, pseudonyme de Jean- Paul Dreyfus, 1909-1985.
La vie d'un homme (1938); Le temps des cerises (1938); Une idée à l'eau (1939); Messieurs Ludovic (1946); Au coeur de l'orage (1948); L'école buissonnière (1949); La belle que voilà (1950); Sans laisser d'adresse (1951); Agence matrimoniale (1952); Papa, Maman, la bonne et moi (1954); Le village magique (1955); Les évadés (1955); Papa, Maman, ma femme et moi (1956); Le cas du docteur Laurent (1957); Les Misérables (1958); La Française et l'amour (un sketch, 1960) ; Par-dessus le mur (1961); Mandrin (1963); Monsieur (1963); Le jardinier d'Argenteuil (1966).
Très représentatif du médiocre cinéma français de l'après-guerre. Sa nullité (il a signé la plus mauvaise de la bonne dizaine d'adaptations des Misérables de Victor Hugo), sa vulgarité (Papa, Maman, la bonne et moi, massacre filmé des amusants monologues de Robert Larnoureux), ses prétentions «humanistes» (qui lui inspirèrent toutefois deux films honorables: Messieurs Ludovic et L'école buissonnière, en ont fait la cible rêvée pour la critique de «la nouvelle vague» à la fin des années 50.
Dictionnaire du Cinéma Jean Tulard R. Laffont 1987
BLIER (Bernard),
acteur français (Buenos Aires, Argentine, 1916). Fils d'un biologiste de l’Institut Pasteur et né au cours d'une mission de ce dernier en Amérique du Sud, Bernard Biler fait ses études au lycée Condorcet. Rêvant de devenir comédien, il s'inscrit au cours de Raymond Rouleau et de Julien Bertheau, est recalé à trois reprise à l'examen d'entrée au Conservatoire, avant d’être enfin admis, grâce aux encouragements de Louis Jouvet. Déjà le cinéma le réclame: en 1937, il débute dans Trois, six, neuf de Raymond Rouleau et Gribouille de Marc Allégret. Au théâtre, on le voit dans Mailloche et l'Amant de paille. Marcet Carné lui confie le rôle de l'éclusier d'Hôtel du Nord, en 1938. La même année, il est de l'équipe d'Entrée des artistes aux côtés du patron “Jouvet”. Pendant la guerre, démobilisé, il accumule les rôles de composition, à l'écran (le plus pittoresque étant celui du neveu ahuri de Marie-Martine, auquel Saturnin Fabre intime de tenir sa bougie... droite.) et à la scène (Mamouret, Mademoiselle de Panama). En 1947, il s'impose dans le rôle du pianiste paumé de Quai des Orfèvres, de H-G. Clouzot (de nouveau avec Jouvet). Ses prestations contrastées de Dédée d'Anvers (un mauvais garçon), Manèges (un mari minable) et l'École buissonnière (un jeune instituteur aux idées d'avant-garde) achèvent de lui valoir la notoriété. Sa rondeur bonasse et parfois inquiétante sera utilisée, dans les années 50, par Jean-Paul Le Chanois (Sans laisser d'adresse, Agence matrimoniale, les Misérables, où il campe un convaincant Javert), Georges Lampin (les Anciens de Saint-Loup, Crime et Châtiment), André Cayatte (Avant le déluge, le Dossier noir), Julien Duvivier (l'Homme a l'imperméable, Marie-Octobre) et bien d'autres, de Sacha Guitry à Berthomieu. Son physique à la Gino Cervi attire l'attention des Italiens, qui l'emploient habilement dans la Grande Guerre (M. Monicelli) et le Bossu de Rome (C. Lizzani). Il continuera par la suite à se partager entre la France et l'Italie, alternant avec aisance les rôles de grand bourgeois, de truand, de ganache et de cabot solennel. Michel Audiard et Jean Yanne le prennent comme mascotte dans presque tous leurs films. On est en droit de préférer ses interprétations plus nuancées chez Robin Davis (Ce cher Victor), Alain Corneau (Série noire) ou récemment Luigi Comencini (Eugenio).
Bernard Blier a deux enfants : Brigitte et Bertrand, devenu romancier et cinéaste (il a dirigé son père dans Si j’étais un espion, Calmos et Buffet froid). Bernard Blier a obtenu en 1973 le prix Balzac, au théâtre, pour son rôle dans le Faiseur. On rêve de le voir interpréter César Birotteau...
C. B.

Films: Trois, six, neuf (R. Rouleau. 1937); Gribouille (M. Allégret, id.); Altitude 3200 (J. Benoit-Lévy et M. Epstein, 1938); Entrée des artistes (M. Allégret, id.); Hôtel du Nord (M. Carné, id); Le jour se lève (Id., 1939); l'Enfer des Anges (Christian-Jaque, id.); Premier Bal (id., 1941); l'Assassinat du Père Noël (H., id); la Symphonie fantastique (id.. 1942); le Mariage de Chiffon (C. Autant-Lara Id.); la Nuit fantastique (M. L'Herbier, id); Carmen (Christian-Jaque (re: 1943), 1945); Marie-Martine (A. Valentin, id.); les Petites du quai aux Fleurs (M. Allégret, 1944); Seul dans la nuit (Christian Stengel, 1945); Messieurs Ludovic (J-P. Le Chanois, 1946); le Café du Cadran (Jean Gehret, 1947); Quai des Orfèvres (H.-G. Clouzot, id.); Dédée d'Anvers (Y. Allégret. 1948); D'homme à hommes (Christian-Jaque. Id.); les Casse-Pieds (J. Dréville, id.); l'École buissonnière (Le Chanois, 1949); Monseigneur (Roger Richebé, id.); l'invité du mardi (J. Devai, 1950); la Souricière (H. Calef, id.); Manèges (Y. Allégret, id.); les Anciens de Saint-Loup (G. Lampin, id.); Souvenirs perdus (Christian Jaque, Id.); Sans laisser d'adresse (Le Chanois, 1951); la Maison Bonnadieu (Carlo Rim, id.); Agence matrimoniale (Le Chanois, 1952); Je l'ai été trois fois (S. Guitry, 1953); Avant le déluge (A. Cayatte, 1954); le Dossier noir (id., 1955); les Hussards (A. Joffé, id.); Mère Courage (Mutter Courage und ihre Kinder, W. Staudte, non achevé, id.); Crime et Châtiment (Lampin, 1956); l'Homme l'imperméable (J. Duvivier, 1957); Retour de manivelle (D. de La Patellière, id.); les Misérables (Le Chanois, 1958); Sans famille (A. Michel, id.); les Grandes Familles (La Patellière, id.); Marie-Octobre (Duvivier. 1959); la Grande Guerre (La grande guerra, M. Monicelli, id.); Archimède le clochard (G. Grangier. Id.); le Bossu de Rome (Il Gobbo, C. Lizzani, 1960); Arrêtez les tambours (G. Lautner, id.); le Président (H. Verneuil, id.); Vive Henri IV, vive l'amour (Autant-Lara, 1961); Le cave se rebiffe (Grangier, id.); le Septième Juré (G. Lautner, 1962); Germinal (Y. Allégret, 1963); les Camarades (I compagni, Monicelli, id.); Cent mille dollars au soleil (H. Verneuli, id); le Cocu magnifique (Il magnifico cornuto, A. Pietrangehi, 1964); les Barbouzes (Lautner, 1965); l'Étranger (Lo straniero, L. Visconti, 1967); Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique? (Riusciranno i nostri eroi a ritrovare l'amico misteriosamente scomparso in Africa?, E. Scola, 1968); Mon oncle Benjamin (C. Molinaro, 1969); le Distrait (P. Richard, 1970); le Grand Blond avec une chaussure noire (Y. Robert, 1972); Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (J. Yanne. Id.); Moi, y en a vouloir des sous (id, 1973); Ce cher Victor (Robin Davis, 1975); Mes chers amis (Amici miei, Monicelli, id.); Calmos (Bertrand Blier, 1976); le Corps de mon ennemi (Verneuil, id.); Nuit d'or (S. Moati, 1977); Série noire (A. Corneau, 1979); Buffet froid (Bertrand Biler, id.); Eugenio (L. Comencini. 1980).
Dictionnaire du Cinéma Larousse 1986