À 86 ans, Paul, l'instituteur, enseigne encore.
Ouest-France publie un portrait de Paul Le Bohec dans un article du 20/2/8.
Paul Le Bohec a passé toute sa vie en Bretagne. Il réside actuellement à La Mézière, près de Rennes. : Philippe Renault
Paul Le Bohec se définit comme un hérétique. Instituteur, disciple de Freinet, il s'est ensuite émancipé. Aujourd'hui, à 86 ans, il se raconte.
Paul Le Bohec ne s'encombre pas de protocole. D'emblée, il tutoie. Cet enseignant a passé sa vie à l'école. Pourtant, enfant il s'y est senti « immergé dans l'ennui jusqu'à la pointe des cheveux ! » Plus tard, à l'école normale, il se met « en réserve de la République. » Rebelle, il se soustrait aux obligations, travaille sur les sujets qu'il choisit. Têtu, il a toujours refusé la routine. « J'ai bénéficié de circonstances favorables quand j'ai pris mon premier poste à Gévezé, près de Rennes, dans une école sans directeur, le 1er septembre 1940. J'y ai créé ma pédagogie, introduit le texte libre. Je n'ai plus jamais été seul. J'étais avec les enfants. »
Gévezé, Orgères, en Ille-et-Vilaine, Langourla et Trégastel, dans les Côtes-du-Nord, où il restera vingt-trois ans. Avant d'être coopté pour intégrer l'IUT carrières sociales de l'université Rennes 1. Dans une ambiance post-soixante-huitarde, souffle un vent de liberté qui n'est pas pour déplaire à l'enseignant qui, dès le début, savait qu'il n'apprendrait pas à obéir.
À 86 ans, ce fils de cheminot breton qui a grandi dans le quartier sud gare de Rennes, dans une famille rassurante « et qui avait du punch », a décidé de raconter sa vie d'enseignant. L'école réparatrice de destins ? (L'harmattan) fourmille d'anecdotes de vie de classe édifiantes et truculentes : « J'ai beaucoup de mémoire, j'ai revécu chaque instant. »
Très vite, Paul le Bohec se coule dans les idées de Célestin Freinet, un pédagogue français, qui, au XXe siècle, a inventé une méthode d'enseignement. « Un génie », dit-il, avec qui il correspond pendant une dizaine d'années. Dans sa classe, où il accueille les enfants de 6 à 9 ans, il porte l'accent sur le développement des langages. Paul Le Bohec a recours à la méthode naturelle, l'expression création en partant de la production des enfants. Tout comme son épouse, institutrice aussi. Pourtant en 1966, le disciple dissipé prend son indépendance et, tout en restant fidèle, s'affranchit du maître Freinet : « en maths, on nous demandait de former des mathématiciens et non plus des calculateurs. Il fallait se désengluer du réel. »
Toute sa vie, Paul Le Bohec a expérimenté, bûché. Pour satisfaire le désir de réussite de son père et puis en pensant à son frère, de six ans son cadet : « Alors que j'allais entrer au cours complémentaire, mon père a décidé de nous envoyer mon frère aîné et moi en pension. » Le jour de la rentrée, le père et ses trois fils prennent le train pour déposer les grands à l'école. La voix de Paul Le Bohec s'étrangle : « Sur le quai de la gare, mon jeune frère n'avait pas compris que l'on allait être séparé. Il s'est accroché à moi en hurlant mon nom. En vain. Mon père l'a monté de force dans le train, pour rentrer à la maison. J'étais paralysé. Encore aujourd'hui, ça me serre le coeur... » Pour Paul Le Bohec, l'enseignant est un fournisseur d'amorces « pour libérer les enfants, les armer pour qu'ils aient des chances d'être plus heureux tout au long de leur vie. » C'est l'histoire de cet enfant qui guérit son bégaiement, de Rémi, dyslexique, qui tient en haleine ses camarades...
Paul Le Bohec l'assure : jamais de doute. Ni de problèmes avec les inspecteurs... L'inverse n'est peut-être pas vrai ! Dans sa classe, « on rigolait beaucoup. » Gamin, avec ses copains, le petit Paul n'était pas leader : « Pour me faire remarquer, j'étais prêt à rendre service ou à faire rire. » Plus tard, il navigue toujours entre l'extrême fantaisie et l'extrême sérieux et milite « pour que les enfants vivent leur vie d'enfant ». En publiant son livre, Paul Le Bohec s'attendait bien à des « C'était bon de ton temps... Les enfants sont différents... Tu n'es plus dans le coup. » Il riposte : « Je me suis toujours appuyé sur la nature de l'être humain. Elle, ne change pas. » Paul Le Bohec a toujours eu des élèves ravis de venir à l'école : « Aujourd'hui, les gosses pourraient être plus heureux et apprendre davantage. Ils ne sont pas bloqués mais encombrés sans doute par davantage de mal-être. Ces techniques d'expression libre sont de plus en plus d'actualité. »
Paul Le Bohec, qui ne s'est jamais soucié de progresser dans la hiérarchie, touche une retraite d'instituteur adjoint depuis trente ans. Mais, comme il dit, « je ne suis pas en retraite car je n'ai finalement jamais été en activité. » Encore aujourd'hui, inépuisable, il s'implique dans le réseau Freinet, participe à la co-formation.
Il écoute le débat sur la lecture : « Ceux qui sont pour la méthode globale se trompent, ceux qui sont pour la méthode syllabique aussi. La lecture n'est pas de première importance. C'est l'écriture qui compte. Quand on commence à écrire, on commence à penser. Lire, c'est être au courant des idées des autres. Écrire, c'est construire sa propre pensée. »
Agnès LE MORVAN.

L'école réparatrice de destins ? Sur les pas de la méthode Freinet, de Paul Le Bohec, édition L'Harmattan, postface de Philippe Meirieu, 255 pages, prix public : 23 ¤.

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