jeune dans sa tête
par Guy Goupil
Paul Le Bohec, ancien compagnon de Freinet vient de mourir. A 88 ans il n'avait rien perdu de son enthousiasme ni de ses visions d'avenir. Voilà un homme âgé dans son corps qui est mort jeune dans sa tête. Il avait conservé toute sa bonne humeur et tout l'humour qu'il distillait malicieusement, toujours en riant de la bouche et des yeux. Il avait su s'affranchir des techniques stéréotypées pour aller chercher ce qu'il y avait de plus profond chez les enfants d'abord, puis chez les adultes ensuite, pour leur permettre de « réparer leur destin ». On pourrait dire, avec Boris Cyrulnik, qu'il leur donnait les moyens de leur résilience. Il aura donné l'exemple de la réflexion pédagogique nourrie d'une observation et d'une écoute exceptionnelle. Il aura montré qu'avec une patience infinie on obtient souvent des miracles. En témoigne ce dernier ouvrage qu'il a mis au point sur le gaucher. Car c'est la complexité qu'il faut prendre en compte et contrairement à ce que l'on croit fréquemment aujourd'hui, les raisonnements simplistes ne mènent à rien de solide. C'est par l'attention qu'on porte à la personne qu'on lui permet de progresser.
L'expression et la création sont les sources de la construction (ou de la reconstruction) de la personne. Voilà quelques uns des enseignements majeurs que Paul Le Bohec nous aura laissés. Toute sa vie d'enseignant il aura lutté contre le B-A = BA abêtissant. Avec Freinet et quelques autres, il aura montré que c'est la prise en compte de l'individu en tant que personne dans son intégralité qui est la base de toute éducation.
Paul était en perpétuel réflexion et l'effervescence de ses idées se traduisait par une imagination créatrice sans limite. Les relations entre ses observations des enfants et des faits l'amenaient à de perpétuelles inventions et innovations pédagogiques. Nul n'a su mieux que lui s'adapter aux situations nouvelles qui se présentaient à lui. Il voyait d'instinct le rapport nouveau dont il allait tirer parti pour une nouvelle pratique pédagogique adaptée au cas nouveau qui posait problème
J'ai quelques souvenirs de ces présentations en congrès ou en stages, toujours surprenantes d'intelligence provocatrice car pour lui la simplicité c'est la complexité. Et voici qu'il décrit les enfants de sa classe à la recherche de la mise en  équilibre des objets. Ainsi, quoi de plus simple qu'un boîte de pastilles Valda dont la brillance intérieure a toujours fasciné les jeunes enfants, quoi de plus simple de la poser ouverte pour qu'elle tienne debout. C'est ce que font les enfants après une série d'essais, d'expériences, de tâtonnements. J'entends encore ton enthousiasme : « Vous ne voyez pas ? vous vous rendez compte ! Il a découvert ce que c'est que le polygone de sustentation ! Et maintenant il l'applique pour construire des objets qui tiennent debout ! et vous voyez tout ce qu'il va découvrir dans son environnement ! ».
C'est ainsi qu'il nous invite à porter attention à de toutes petites choses, à ce qui nous paraît, à nous, de toutes petites choses simples pour en voir, au-delà des apparences, tout l'intérêt, toute l'ouverture à la complexité.
Sans cesse il se remettait en cause par de nouvelles recherches. A un stage il nous présente avec sa verve habituelle, son enthousiasme permanent, un plan de travail dont il nous dit toutes les merveilles qu'il en tire. Je lui dis mon scepticisme sur certains points et il me démontre que j'ai tort, que c'est un progrès extraordinaire. Il me convainc et je travaille d'arrache-pied  à mettre cela au point dans ma classe au cours de l'année suivante. Et ça marche.
Je le lui dis au stage d'après. Il part d'un grand éclat de rire. « Mais non ça ne colle pas bien. J'ai refait un nouveau « truc » et alors, là c'est autre chose ! » Pou lui, c'était bien jusqu'à ce qu'une autre découverte rende caduque celle d'avant. Le voilà, Paul, toujours en recherche. Une invitation pour nous aussi à nous remettre sans cesse en question.
 La démonstration que la pédagogie Freinet est une pédagogie évolutive !    
Pour que nous puissions profiter de son expérience, c'est cela que dans  ses ouvrages il a cherché à nous faire comprendre au travers des récits des cas concrets qu'il y a décrits. C'est aussi cela qu'il mettait en Ïuvre dans ses conférences ou au cours des stages et rencontres qu'il animait avec son humour permanent. Et ses jeux de mots  continuels créaient la détente dans ses relations aux autres qu'il pouvaient craindre ou difficiles ou bien entre deux discours arides.
Au moment où l'on est en train de vouloir bureaucratiser l'enseignement par les EPEP il est la démonstration même qu'il faut laisser aux enseignant la maîtrise de l'organisation de leurs projets et une liberté d'ation absolument nécessaire pour qu'une véritable avancée pédagogique demeure possible.
Guy Goupil, 25 janvier 2009