Pédagogie internationale


Allemagne


De la méthode globale à la méthode naturelle


La langue allemande se prête mieux que la nôtre à un apprentissage synthétique de la lecture les sons à acquérir y sont moins nombreux que chez nous et leur graphie pratiquement phonétique, Comment se fait-il alors que la méthode globale y prenne le pas sur l’ancienne méthode syllabique ?


On dénombre en effet en 1958 sur 72 manuels d’apprentissage de la lecture, 35 ayant un départ global contre 27 partant de la lettre ou de la syllabe. Ce succès de la méthode globale n’a pas ses raisons dans un engouement passager mais dans les recommandations des psychologues gestaltistes d’Allemagne et qui ont mis en évidence la globalisation primaire de nos perceptions.


A côté des utilisateurs de manuels de lecture globale, un certain nombre de maîtres depuis plus de dix ans polycopient ou impriment leurs propres livres de lecture pour débutants. La majorité en compose les textes selon les intérêts qu’ils supposent chez les enfants ou les motivations du langage qu’ils recensent dans leur village ou leur quartier ; quelques-uns seulement, selon la technique Freinet c. a. d. en partant de dessins, de récits puis progressivement des graphies d’enfants, utilisent, sans en connaître le nom, la méthode naturelle. Comment expliquer cette timidité à partir directement des intérêts des enfants ? Essentiellement parce que le maître craint en utilisant l’apport des enfants de composer des textes ou trop difficiles ou trop puérils, en tous cas, étrangers à la nécessité de voir tous les sons parfois dans un certain ordre et en s’appuyant sur des mots-clefs privilégiés.


Cette crainte n’est pas étrangère à nos maîtres des cours préparatoires français et c’est ce qui nous a conduits à énumérer ici les précautions prises par nos collègues allemands pour introduire la méthode globale puis, pour passer de celle-ci à une méthode naturelle. Nous nous inspirerons des articles parus de 1958 à 1961 dans « Unsere Volksschule » sous la plume de Helmut Scharf et d’Erich Decker, ainsi que dans la « Scholie » (Ludwig Reinhard).


FAUT-IL PASSER PAR UNE METHODE GLOBALE POUR ABORDER LA METHODE NATURELLE ?


Les maîtres qui ont la méthode naturelle bien en main répondront immédiatement par la négative. Ce qui fait l’originalité et le succès de la méthode naturelle par rapport à la globale, c’est le potentiel affectif du texte libre, la cristallisation des mots de ce texte qui a l’avantage d’être fait sur mesure et non introduit artificiellement comme c’est le cas dans les textes de globale des syllabaires. Avec la méthode naturelle, le reproche fait par Erich Decker perd sa raison d’être : pour ce dernier, la méthode globale est fragile et inefficace car elle surestime la capacité d’assimilation et de mémorisation du jeune enfant qui ne saurait conserver dans sa mémoire les mots qu’on lui propose avant la période d’analyse et qui selon les syllabaires vont de 29 à 233 et s’élèvent en moyenne à 144.


Ces mots, selon lui, se feraient réciproquement écran surtout si leur répétition et leur fixation sont insuffisantes. Tenons compte d’autre part du décalage de la mémorisation auditive et visuelle, de l’incapacité pour certains enfants de trouver des correspondances entre un son et un signe, Decker affirme que la méthode globale sous des dehors humanitaires est en réalité un casse-tête pour les enfants qui ne sont que moyennement doués. Ceux-ci ne lisent plus, « ils devinent » et c’est de cette intuition balbutiante que naissent les confusions et les orthographes fantaisistes.


La méthode naturelle par contre utilise un texte vécu, intelligible à tous, dont les mots réduisent au minimum l’effort de recherche d’une signification et facilitent la mémorisation parce qu’il correspond à une situation concrète avec participation affective. Néanmoins, elle n’est pas une méthode-miracle. Ses usagers doivent mettre au point une exploitation, une systématisation de l’analyse qui tienne compte des recherches faites sur la mémoire et la perception. Sa vertu essentielle est de faire de l’apprentissage de la lecture un processus vital c. a. d. assimilable par l’enfant sans coercition déplaisante. Les bons maîtres l’exploitent en imaginant aisément de multiples et vivants exercices d’analyse et de synthèse. Les autres et les débutants auront peut-être intérêt à écouter et à adapter pour la France les conseils donnés par Helmut Scharf et Ludwig Reinhard. Ces derniers ont fait un inventaire des conditions nécessaires à la réussite d’une lecture à départ global. Les voici :


2° LES CONDITIONS DE LA REUSSITE.

a) Le maître :


Il doit se faire une image précise des processus d’acquisition de la lecture chez l’enfant et pour cela se documenter mais surtout assister à des démonstrations. Ce n’est que lorsqu’il sera convaincu de l’excellence de cette méthode qu’il devra l’appliquer. Rien ne serait plus grave que de démarrer avec elle et brusquement avouer aux parents et aux collègues un échec. Il ne saurait être question ici « d’essayer pour voir ».


Comment se présente chez les enfants le processus d’acquisition de la lecture au cours d’une année scolaire ?


1. - L’enfant retient l’image d’une phrase entière, il est capable de la répéter.

2. - Il reconnaît dans ces phrases la place et l’image d’un mot et sait utiliser ces mots pour former d’autres petites phrases.

3. - Il arrive à l’analyse visuelle et constate qu’une même lettre existe dans différents mots.

4. - Il reconnaît que des mots contiennent le même son et avec l’aide du maître il établit une correspondance entre les mots et les sons (analyse auditive).

5. - Il extrait après l’analyse précédente des syllabes et des lettres des mots connus, ceci avec l’aide du maître et les lit en dehors d’un contexte.

6. - Il utilise ces syllabes et ces lettres pour créer des mots nouveaux (synthèse).

7. - Il déchiffre des mots inconnus et rédige des phrases personnelles.

8. - Il est capable de lire seul et de comprendre un texte simple et court sans préparation.


Cette démarche en huit étapes doit être faite en considérant non seulement la classe comme un ensemble mais chaque enfant individuellement. On s’apercevra alors que des enfants doués en viennent à bout après quelques mois, mais d’autres seulement au cours de la deuxième année scolaire. Or, l’important n’est pas qu’un enfant apprenne à lire en six ou neuf mois mais qu’il ne se décourage jamais, qu’il ne soit pas bousculé, que son développement personnel soit continuellement respecté.


Le maître n’a pas à craindre d’être en contradiction avec les programmes et les Instructions officielles. Dans le pays de Bade-Wurtemberg (chaque pays de l’Allemagne fédérale a une organisation scolaire qui lui est propre) l’instruction ministérielle concernant la lecture prévoit : « A la fin de la première année scolaire (à 8 ans donc puisqu’en Allemagne l’obligation scolaire débute à 7 ans) les enfants devraient autant que possible être capables de lire un texte qui corresponde à leur compréhension sans aide et de façon naturelle ».


En Saxe méridionale un décret précise que « l’apprentissage de la lecture doit s’étendre sur deux ans pour les enfants dont le développement nécessite une semblable durée ».


L’apprentissage de la lecture ne fera des progrès dans nos écoles que lorsque les maîtres déplaceront l’objet de leur hantise : ce n’est pas la durée stricte de l’apprentissage qui importe mais le respect du développement individuel.


b) Les parents.


La méthode globale ne peut être utilisée avec fruit que si les parents sont acquis à cette méthode. Cela suppose non seulement une causerie d’initiation faite en Conseil de Parents mais aussi l’engagement tacite pris par ceux-ci de renoncer à porter un jugement défavorable a priori.


Très souvent, les parents souhaiteraient que leurs enfants lisent dans le syllabaire qu’ils ont connu eux-mêmes. Il leur arrive de s’en servir comme test pour vérifier le niveau de leurs enfants et même combler un prétendu retard. Cette façon de procéder a des conséquences désastreuses et inimaginables. D’une part, l’enfant est en conflit moral divisé entre l’affection qu’il a pour ses parents et l’admiration pour son maître ou sa maîtresse. S’il a l’impression qu’il ne réussit pas en classe, il sera vite porté à penser que la faute en est à la maîtresse puisque ses parents le lui répètent fréquemment.


Sur le plan intellectuel la confusion est totale : à la concentration d’esprit exigée pendant les heures de classe vient s’ajouter le surmenage imposé par les parents. La question se pose alors, comment convaincre les parents si l’exposé introductif ne les a pas rassurés ? D’une part, par des entretiens personnels au cours desquels le maître précisera le niveau actuel de l’enfant dans le processus décrit ci-dessus, l’utilité d’un milieu de langage aidant (en particulier dans les régions bilingues ou patoisantes) ; certains établissements organisent la journée ouverte au cours de laquelle les parents assistent à la classe,


c) Les enfants:


Leur intérêt pour un texte libre d’enfant dépend de l’habileté du maître à tisser entre ce texte et les enfants de nombreux intérêts affectifs, c’est dire que la lecture ne se dissocie pas de la conversation, d’appel à l’expérience personnelle des élèves. L’animation d’une leçon de lecture par des procédés variés, l’habileté à maintenir l’attention, sont des facteurs essentiels. Mais il en est d’autres que l’on néglige parfois : le récit de l’enfant est trop long pour être utilisé comme texte de lecture au début de l’année. Il faut donc le réduire à une phrase simple, vivante, suggestive.


Cette mise en forme n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire et exige de l’intuition, de la bonne humeur et une connaissance sérieuse des tournures du langage des enfants de cet âge dans la ville ou le village en question. D’autre part, il y a lieu de s’interroger sur le nombre de mots qu’un enfant moyen est capable de reconnaître au cours d’une séance, sur la fréquence de répétition de ces mots au cours de séances suivantes, sur le choix des lectures adoptées aussi bien dans le livre de lecture qu’on va polycopier que dans les cahiers des élèves. En réalité, nous connaissons très mal le fonctionnement de l’intelligence d’un enfant de 6 à 7 ans. Les tests nous en donnent des limites schématiques mais le comportement dynamique de son esprit nous échappe de même que son rythme d’attention, ses possibilités de mémorisation.


CONCLUSION :


Les partisans de la méthode globale en Allemagne mettent l’accent sur le fait que l’enseignement de la lecture ne peut être considéré comme une discipline indépendante des autres activités du cours préparatoire. L’enseignement au cours préparatoire forme un tout, il est lui-même en quelque sorte global et tient compte de l’environnement à tout propos. Il serait donc incommode et peu rentable d’adopter une méthode de lecture qui, par ses démarches et son vocabulaire, serait tout à fait étrangère au milieu.


Les partisans de la méthode naturelle peuvent faire valoir que cette méthode sait demeurer dans le contexte de l’enseignement du C.P. et que très souvent le texte de lecture est exploité en calcul, en observation, en travail manuel et surtout en langage et que c’est cette unité qui lui vaut sa réussite non seulement sur le plan intellectuel mais aussi sur celui du caractère et de la moralité.


R. UEBERSCHLAG.


NOTE DE FREINET:


Il y a un élément qui, même dans les essais qui se rapprochent de notre méthode naturelle, semble être négligé, c’est la correspondance interscolaire qui apporte l’indispensable motivation.


Avec cette motivation, les processus indiqués pour l’apprentissage seront quelque peu bousculés, L’enfant n’attendra pas, par exemple, de connaître suffisamment de mots pour écrire une phrase ou un texte. C’est là un restant de scolastique qui laisse croire qu’on ne peut écrire que si on en connaît les éléments. Or, nos enfants qui veulent écrire à leur correspondant, s’expriment d’abord par le dessin, puis par des signes qui ne ressemblent que de loin à des lettres. puis par des mots écrits à la mode enfantine (voir notre B.E.M. : Méthode Naturelle de Lecture, 8-9).


Ce que nous apporte, en plus de la méthode globale la méthode naturelle, c’est cette pratique du tâtonnement expérimental qui entraîne à une reconsidération des processus d’acquisition et de comportement. La tâche semble facilitée à nos collègues allemands du fait qu’ils s’attaquent à l’apprentissage à 7-8 ans, époque à laquelle nos enfants doivent déjà avoir acquis tous les mécanismes.


C. FREINET.