PÉDAGOGIE INTERNATIONALE


QUAND L’INSTRUCTI0N CIVIQUE SE FAIT AU PÉRIL DE SA VIE


Les lois sur le droit de vote inscrites dans la Constitution Fédérale des Etats-Unis ne contiennent aucune discrimination raciale. Théoriquement un noir peut voter aussi librement et dans le 8 mêmes conditions qu’un blanc.


Les seules restrictions qui jouent touchent au niveau mental de l’individu. Un fou, un illettré ne peuvent être inscrits sur les listes électorales. Dans les Etats du Sud et en particulier dans le Mississipi, le plus « noir » des « États noirs » on profite de cette clause pour empêcher le vote des gens de couleur. Pour tout le Mississipi, sur 508 000 noirs âgés de plus de 21 ans, 23 000 (4,96%) seulement ont actuellement le droit de vote, Dans le Comté de Pike, dont Mc Comb est le chef-lieu, sur les 8 610 noirs âgés de plus de 21 ans, seuls 207 (2%) furent inscrits sur les listes électorales en 1961 ; et dans les deux comtés voisins il n’y eut qu’un électeur noir sur un total de plus de 6 000 en âge de voter.


UN ÉTRANGE TEST DE « BARRAGE »


Or ces chiffres ne recouvrent pas ceux des lettrés et des illettrés. La Commission Fédérale des Droits Civils a réuni de nombreux rapports qui montrent que le « test d’aptitude électoral » qu’on fait passer aux candidats est utilisé pour écarter systématiquement les noirs. Au cours de l’été 1961 deux candidats de couleur qui le passèrent furent déclarés « inaptes » par l’Office d’état civil, bien que l’un d’entre eux fût instituteur et l’autre étudiant en quatrième année de sciences politiques au Jackson State College.


En quoi consiste ce fameux test ? Il varie selon les États. Tantôt il suffît de savoir lire et écrire, tantôt il faut pouvoir interpréter les clauses de la Constitution Fédérale ou des Constitutions des Etats. Les lois des Etats donnent aux Officiers d’état civil locaux la liberté de décider qui est au qui n’est pas « illettré » ou de juger de la bonne interprétation des clauses constitutionnelles. Or les gouvernements locaux sont tous dirigés par des blancs qui sont persuadés que le droit de vote donnerait aux noirs du sud leur première chance collective. Ce droit acquis, ce serait l’engrenage. Il faudrait prendre en considération leurs justes aspirations : égalité dans les services publics, dans le travail, égalité sociale dans les bus, les cafés, les salles de spectacle.


72 HEURES D’INSTRUCTION CIVIQUE PAR SEMAINE


A la fin de juillet 1961 arrive Mc Comb., la citadelle de la ségrégation raciale du Mississipi un jeune noir de 26 ans Il était auparavant Instituteur à New-York. Il veut créer des écoles destinées à préparer les noirs au vote. Il ouvre des classes de 9 heures du matin à 9 heures du soir. Son nom est Robert Moses, Un véritable travail de conversion car après tant de luttes inutiles, les noirs sont restés indifférents à l’activité politique, persuadés que le domaine social et politique leur était irrémédiablement fermé. Il faut maintenant les persuader que toutes les conquêtes passent par cet enjeu fondamental, l’inscription sur une liste électorale.


POUR UNE BONNE RÉPONSE : 50 DOLLARS D’AMENDE


Les classes ont lieu sans incident pendant quinze jours. Mais l’Instituteur Robert Moses s’aperçoit très rapidement que l’instruction civique, entre quatre murs, cela ne mène pas loin. Son activité publique, sans engagement, elle reste lettre morte. Ses élèves sont collés malgré leurs bonnes réponses et leur inscription sur la liste refusée Il faut donc les assister au cours du test, contrôler la régularité des épreuves, Un jour que Moses, en compagnie de trois noirs qui n’avaient pas réussi à s’inscrire, roule en direction de Mc Comb, sa voiture est arrêtée par un officier de comté. On lui demande s’il est bien « celui qui essaye de faire voter nos nègres ». Les quatre hommes passent alors en justice et Moses est condamné à cinquante dollars d’amende et deux jours de détention pour avoir « porté atteinte à un officier dans l’exercice de ses fonctions »...


À la fin du mois d’août, Moses toujours incorrigible persiste à vérifier les bonnes réponses de ses élèves au bureau d’état civil de Liberty (Mississipi). Il est abordé alors par trois blancs, le fils et les deux cousins du Chef de la Police du Comté, Un des cousins s’attaque à Moses et le frappe avec un objet en métal ; Moses est blessé et on doit lui faire huit points de suture. Fait sans précédent dans cette région du Mississipi, il porte plainte contre un blanc mais son assaillant est acquitté.


VOUS POUVEZ ME TUER


La presse européenne a relaté l’an dernier l’odyssée des Voyages de la Liberté. Des étudiants et des adultes noirs et blancs, avalent décidé de traverser le Sud et de se retrouver dans une citadelle du Racisme : la ville de Jackson dans le Mississipi : leurs autobus étaient réguliers, spécialement loués. Dans l’Etat d’Alabama, un de ceux-ci fut incendié, un autre menacé à Montgomery où l’ordre ne fut rétabli que par la police fédérale, Les manifestants formaient des cortèges dans les villes en portant des pancartes et des transparents, « ségrégation = dégradation » - « noirs ou blancs, c’est la race humaine » - « nous sommes prêts à payer notre dignité » - « vous pouvez me tuer » - « ce qui est arrivé à Brenda (jeune noire de 16 ans renvoyée du collège) vous guette »... Ils ne portaient pas d’armes, ne cherchaient pas à se défendre. Ils appliquaient aux Etats-Unis les concepts et les méthodes de non violence de Mahatma Gandhi.


RÉVOLUTION DANS LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE


Il y a deux ans, les étudiants noirs se donnaient pour objectif le respect et la défense de la Révolution américaine, des droits du citoyen américain, La révolution mondiale des pays sous-développés et en particulier les événements d’Afrique les ont sensibilisés aux aspects économiques et politiques de toute révolution. C’est l’organisation totale de la société qui est maintenant mise en cause. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette évolution de l’attitude des pays africains et de l’Algérie à l’égard de la France, après la réclamation de l’intégration, celle de l’indépendance.


R. UEBERSCHLAG


Sources : The student, international student magazine.